11 de novembro de 2015

LACAN QUOTIDIEN. Hervé Castanet, Jacques-Alain Miller, collection Comprendre, éd. Max Mil. Entretien avec l’auteur




Lacan Quotidien : Lacan disait que ses Écrits étaient « pas à lire ». De Jacques-Alain Miller, au contraire, on vante toujours la clarté d’expression et les formulations limpides. Est-ce si simple ? 

Hervé Castanet — Jacques-Alain Miller lui-même revendique cette « clarté d’expression » et les « formulations limpides ». Parmi de nombreuses citations, j’en isole deux.

Dans sa préface à Un début dans la vie (Le Promeneur, Gallimard, 2002), il écrit : « j’avais eu d’emblée le goût de l’analyse grammaticale, et […] je ne me donnais pas pour satisfait avant d’avoir atteint l’os des discours, le squelette des doctrines. […] J’avais été serf de cette passion. Elle me brûlait, me consumait. L’analyse me permit de m’en émanciper, de la domestiquer, et désormais d’en jouer comme d’un instrument. Ce qui m’a animé dans la pratique de la psychanalyse vient de là ». De fait, l’analyse grammaticale et la logique réunies font l’os et le squelette de ses textes.

Dans son long entretien, « Le démon de Lacan » (Le diable probablement, n° 9, Verdier, 2011), il revient sur cette affirmation : « À partir du moment où j’ai commencé à lire Lacan, à l’exposer à mes camarades et à parler avec Lacan, [je me suis rendu compte que] je le comprenais mieux que personne. Et j’ai dû en convaincre Lacan lui-même, je ne sais pas très bien comment. » C’est ce que Lacan a repéré chez le jeune normalien qui commençait à le lire et à l’écouter : que J.-A. Miller n’était pas fasciné par la seule logique signifiante et ses fulgurances, qu’il allait être celui qui tordrait « la barre dans l’autre sens » vers ce qui arrête et fixe le sujet.

Mais effectivement, « ce n’est pas si simple », selon votre expression. Pourquoi ? Parce que J.-A. Miller n’est pas seulement celui qui rendrait clair Lacan l’obscur. Ce qui présupposerait que, dans la psychanalyse, tout peut être rendu limpide grâce à une écriture percutante et une logique invincible, sûre d’elle. Dans un texte ancien, avant qu’il n’exerce la psychanalyse, « Matrice » (1968), J.-A. Miller avait saisi cet enjeu : la logique du signifiant n’est pas la logique formelle des philosophes. C’est une logique certes, mais qui inclut ceci : « il n’y a pas de Tout intégral qui ne comporte le manque de lui-même ». Si « la structure n’est pas un tout », c’est parce que cette place du manque n’est rien d’autre que celle du sujet. Le savoir sur le papier est une chose, en faire l’épreuve subjective en est une autre. Le « logicien Miller » deviendra analysant puis analyste. Il restera logicien mais autrement – pas sans ce à quoi une psychanalyse conduit : « il y a un manque essentiel (constitutif), un trou dans l’univers du discours ». La logique en tant que telle n’est pas récusée mais, incluant désormais la psychanalyse, elle se démarque de celle des purs formalistes. J.-A. Miller a une belle expression, plus tardive, pour le marteler : « j’ai mis tout mon effort [...] à marquer en quoi, si, selon Lacan, tout est structure, pas-tout est signifiant ». Ce « pas-tout signifiant », pas si « simple » que cela, va aimanter son Cours et définir des repères pour la clinique. 

LQ : À qui s’adresse ce livre(1) ? Pour qui l’avez-vous écrit ? 

La collection qui accueille ce livre est destinée au « grand public » – terme qui inclut le public cultivé qui veut s’informer et les étudiants, voire les lycéens, qui abordent les textes et les théories. On y trouve disponibles, comme il se doit dans un tel projet, un Marx, un Foucault, un Deleuze, un Camus, un Sade, un Genet, un Rousseau, un Machiavel, un Sartre, etc. J’y ai déjà publié un Freud (2011), puis un Lacan (2013). Bref, on n’y trouve que des grands auteurs disparus. J’ai voulu y introduire un vivant – un qui est bien vivant, même : Jacques-Alain Miller.

C’est un livre au format de poche, mais il fait 214 pages. Quelques dessins sobres et discrets, d’une artiste reconnue, Susanne Strassmann, ponctuent les dix chapitres. Ce n’est pas un copié-collé, fait rapidement, de textes de J.-A. Miller, mais un livre avec une thèse explicite, avec une démonstration précise et logique (appuyée sur la citation et la référence).

Le livre est publié dans cette collection afin que la série justement soit complète : Freud/Lacan/Miller. C’est une façon de faire connaître Jacques-Alain Miller (son Cours, ses combats, ses actions politiques) au-delà des limites, même élargies, de notre communauté psychanalytique. Donc, faire savoir au grand public qui est J.-A. Miller – l’importance de sa lecture de Lacan et des conséquences qu’il en tire pour la psychanalyse d’aujourd’hui, pas sans l’action et les initiatives institutionnelles – la création de l’Association mondiale de psychanalyse (AMP) notamment, la lutte contre l’évaluation, le combat contre l’obscurantisme des TCC, etc. Les membres de notre communauté, je l’espère, y retrouveront, non sans logique, le Jacques-Alain Miller qu’ils lisent, écoutent et, comme moi, admirent (l’admiration étant la première des passions selon Descartes dans son Traité de 1649). 

LQ : Comment faut-il comprendre le « comprendre » du titre de ce livre ? 

« Comprendre » est le titre de la collection. Je ne l’ai pas choisi. J’en fais usage. Dans Le Neveu de Lacan, J.-A. Miller rappelle que, du temps de l’École freudienne de Paris, « il était entendu qu’expliquer Lacan, commenter Lacan, comprendre Lacan, c’était antipsychanalytique ». Son Cours, L’orientation lacanienne, a objecté, année après année, à cette sottise.

Ce Comprendre Miller entend montrer des facettes de J.-A. Miller. Il n’est pas un résumé de ses travaux, ni un recensement chronologique de ses combats, encore moins une description de sa vie – professionnelle ou privée. Une thèse l’oriente. J.-A. Miller, dès 1980 (à Caracas), alors qu’il n’est pas encore analyste, martèle, et devant Lacan lui- même : « Oui, Lacan a été tourné en un nouveau Jung, le Jung du signifiant. […] Eh bien, Lacan, ce n’est pas ça, pas ça du tout. » Réduire la psychanalyse selon Lacan à sa seule affirmation de l’inconscient structuré comme un langage est une dérive et une idéalisation de l’expérience clinique. Un « autre Lacan » est à dégager, à promouvoir. Cet autre Lacan est celui du réel et non plus celui du symbolique… Sans cette thèse, l’enseignement de Lacan, à partir de son Séminaire VII, L’éthique de la psychanalyse (1959-1960), est incompréhensible et ses conséquences pratiques, ignorées. J.-A. Miller a compris cet autre Lacan – le Lacan de la pulsion, du ça, du fantasme, etc., dégagés par Freud.

« Comprendre » est alors « dénuder une architecture ». 

LQ : Quels rapports le texte de ce livre entretient-il avec le moment que nous vivons dans la culture et dans la société ? 

Sous la pression de quelques excités et de maîtres qui ont toujours préféré que l’on dorme gentiment, la psychanalyse a été attaquée, moquée, ridiculisée. Je n’ai pas oublié – les lecteurs de Lacan Quotidien non plus – le combat passé mené par J.-A. Miller avec les Forums psys contre l’évaluation généralisée et la disparition de la psychanalyse que certains espéraient. Nos années actuelles sont plus calmes, mais les critiques n’ont pas disparu. Dans quelques jours les prochaines 45es Journées de l’ECF, dirigées par Christiane Alberti, vont rassembler près de 4 000 personnes. Dans ce contexte, n’est-il pas utile de rappeler qu’il y a une boussole pour nous repérer, et dans nos sociétés, et dans notre culture – soit l’œuvre de Freud et l’enseignement de Lacan ? Or ce rappel de Freud et de Lacan n’est possible, avec cette rigueur et cette vitalité, que parce que, aussi, J.-A. Miller, par sa lecture et ses actions, permet au discours analytique d’être vivant et contemporain.

Je termine ce livre par une référence à ce qui n’a pas encore eu lieu : le prochain Congrès en 2016 de l’AMP à Rio de Janeiro (Brésil) et la conférence de J.-A. Miller sur le « corps parlant » qui l’oriente. L’histoire n’est pas finie, elle continue – c’est un work in progress ! 

1. Hervé Castanet, Jacques-Alain Miller, Paris, éd. Max Milo, coll. Comprendre, 2015. Bientôt disponible sur ecf-echoppe.com. 


 Hervé Castanet dédicacera son livre
aux Journées de l’École de la Cause freudienne,
le samedi 14 novembre 2015, de 13h à 13h30,
près de la librairie des J45. 

Número completo LQ 541 --> : http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-content/uploads/2015/10/LQ-5411.pdf

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