28 de janeiro de 2015

Wolinski, Santo subito !, par Jacques-Alain Miller



The Massacre at Paris ! Titre de Christopher Marlowe. L’anglais doit le mot au français. Cocorico ! Il y est attesté de 1580. La Saint-Barthélémy est de 1572. C’est le sujet de la pièce. 

Chéreau jadis l’avait mise en scène, j’avais fait le voyage de Lyon, c’était superbe, je revois encore les hauts décors hybrides de Richard Peduzzi (un ami), mêlant la révolution industrielle à la Renaissance. 

Le récent massacre à Paris fait caqueter le monde entier. À l’époque de Lacan, « le discours universel », comme il l’appelait, était tenu pour une abstraction, ou un postulat, ou une sorte d’idée régulatrice. Eh bien, de virtuel qu’il était, ce discours devient sous nos yeux actuel, et même actualités. Et là, que dit-il ? Nous sommes très loin de ce « royaume des fns » conçu par Kant, où confueraient toutes les bonnes volontés. La fameuse « voix de la raison », qui selon Freud fnirait toujours par se faire entendre – c’est l’acte de foi des Lumières –, on peine à percevoir son murmure dans le vacarme ambiant. Je veux bien que le philosophe trouve dans la lecture du journal sa prière du matin, mais le clinicien, lui, doit constater que Clio est un personnage en quête d’auteur, et qu’elle souffre de la maladie des personnalités multiples. 

La présente affaire est une embrouille. Terrorisme, islam, islamisme, islamophobie, mort aux Juifs, liberté d’expression, liberté de pensée, droit au blasphème, respect des religions, laïcité, choc des civilisations, suicide français, volonté divine, volonté de puissance, valeurs républicaines, droits de l’Homme ou de l’Oumma... les opinions tirent à hue et à dia. Je ne rencontre même personne qui se dise complétement d’accord avec soi-même. Quel méli-mélo ! Quelle cacophonie ! Et même, quel f...oir ! On se croirait dans le moment « bagarre au saloon » d’un western à l’ancienne. 

Les émeutes en terre d’Islam étaient attendues. Quelques morts de-ci, de-là. On est résigné. Personne ne compte plus. Mais surprise, voilà Sa Sainteté le Pape, pourtant à jeun, qui menace tout à trac, avec son faux air de Fernandel, de « mettre un marron » à un pote, comme on dit dans Courteline, si le malheureux, qui n’y songe pas, venait à manquer de respect à sa mère. C’était pour rire, bien entendu, pour se faire comprendre. Très latin, ça, l’appel à la mère pour signifer l’intouchable. On le rencontre aussi chez Albert Camus.

Et pour couronner le tout, la transfguration de Charlie, journal de merde, en symbole de l’Esprit du Monde (Weltgeist de Hegel), voir de l’Esprit Saint. Quand les Juifs laissés à eux-mêmes adorèrent le Veau d’or, ce n’était déjà pas brillant, pour un peuple élu. Voilà maintenant la moitié de l’humanité dévote d’une manière d’Étron sacré. « Allô ? Non mais... allô quoi ? » Est-ce un opéra-bouffe ? un épisode de Pantagruel ? de Signé Furax ? des Monty Python ? ou tout simplement un tour que nous joue le Prince des Ténèbres ? Qui agence, qui scénarise tout ça ? Sade ? Satan ? Sollers ? Si c’est la Providence, alors c’est que Dieu est Charlie ! 

Je notais, il y a quelques jours, que la couv au Mahomet larmoyant laissait présager la défaite de la ligne pulsionnelle et amorçait un tournant sublimatoire. Aujourd’hui, nous y sommes. Autour des cercueils, ça sublime à pleins tuyaux, ça idéalise, ça esthétise à mort. Voyez la couverture de Elle. La colombe de la paix tient en son bec, à la place du rameau d’olivier, un crayon (« Et mon cul, c’est du nougat ? »). La paupière baissée, l’oiseau blanc sans regard est tout à son vol (« Chie ta fente ! »). Il s’enlève sur un fond bleu clair, immaculé (« SOS, Gros Dégueulasse ! »).

On pétitionne pour l’entrée des défunts au Panthéon. Par esprit de surenchère, Arrabal réclame pour eux le Prix Nobel. On attend maintenant les manifestants Place Saint-Pierre qui scanderont « Wolinski, Santo subito ! » Il se dit qu’un astéroïde demain sera baptisé du nom de Charlie, lequel, fauché sur la Terre, renaîtrait ainsi « dans le champ des étoiles » (Victor Hugo) – et peut-être même des stars, si Hollywood ne cède pas aux djihadistes.

Rien n’illustre mieux le tournant sublimatoire de Charlie que le récit qu’on a pu lire, il y a trois jours, dans Le Journal du dimanche. La veuve de Wolinski, la belle Maryse, a pénétré dans son bureau. « La pièce était nimbée d'une douce pénombre. » Elle a repéré, « scotché au mur », ce dessin. Elle en a fait « le dernier dessin de Wolinski ».

À suivr...

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